Ruth et Booz
1870
Huile sur toile
138 x 202 cm - 54 1/4 x 79 1/2 in.
Montpellier, Musée Fabre, France - Inv. 2004.13.1
Dernière mise à jour : 25-03-2022
Référence : MSb-66
1870
Huile sur toile
138 x 202 cm - 54 1/4 x 79 1/2 in.
Montpellier, Musée Fabre, France - Inv. 2004.13.1
Dernière mise à jour : 25-03-2022
Référence : MSb-66
Famille de l’artiste, Montpellier - Frédéric Bazille, neveu de l’artiste - Musée Fabre, Montpellier, 2004.
Paris, galerie Wildenstein, 1950, n° 58 - Montpellier, musée Fabre, 1959, n° 40 - Chicago, The Art Institue of Chicago, 1978, n° 56, repr. p. 115 - Montpellier, musée Fabre, 1984, Bazille dans les collections particulières, [s.n.], repr. p. 2 - Paris, Grand-Palais, 1985-1986, La gloire de Victor Hugo, n° 887, repr. p. 605 - Montpellier, New York, 1992-1993, fig. 72, repr. p. 127 - Paris, musée Marmottan Monet, 2003-2004, repr. p. 73 - Lausanne, Fondation de l'Hermitage, 2006, n° 92 - Minneapolis, Londres, 2015-2016, fig. 48, repr. p. 244 - Montpellier, Paris, Washington, 2016-2017, cat. 72, repr. p. 257 et p. 75 (radiographie) et p. 185 et 192, 201 (Détails) [Les références sont du catalogue en français].
Poulain, Bazille et ses amis, 1932, n° 8, pp. 53, 212 - Scheyer, printemps 1942, Art Quarterly - Guérif, A la recherche d'une esthétique protestante, 1943, p. 32 - Sarraute, Catalogue de l'oeuvre de Frédéric Bazille, 1948, n° 46, pp. 105-106 [Thèse de l'Ecole du Louvre non publiée] - Huisman, Arts, 9 juin 1950, n° 266, p. 8 - Daulte, Bazille et son temps, 1952, n° 57, p. 112, 190 [Thèse sous la direction de Gaston Poulain] - Allier, Lettres françaises, oct. 1959 - Courthion, Autour de l'impressionnisme, 1964, p. 26 - Champa, Studies in Early Impressionism, 1973, p. 90, fig. 128 - Marandel, Cat. exp. The Art Institute of Chicago, 1978, n° 56, repr. p. 114 - Dejean, Le roman d'un collectionneur : Alfred Bruyas, 1984, p. 2 - Daulte, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné de l'oeuvre peint, 1992, n° 63, pp. 81-82, 182 (repr.) [Réédition de 1952 avec photos en couleur] - Michel, Bazille, 1992, p. 260 - Vuatone, Cat. exp. Montpellier, New York, 1992-1993, n° 32, p. 126 - Bajou, Frédéric Bazille, 1993, pp. 181-182 - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné, 1995, n° 66, repr. p. 221 - Pitman, Bazille: Purity, Pose and Painting of the 1860s, 1998, pp. 193-201, 204 -205 - Hilaire, Cat. exp. Lausanne, Fondation de l'Hermitage, 2006, n° 92, pp. 229-230 - Hilaire, Guide du musée Fabre, 2006, n° 178, p. 193 - Hilaire, Cat. exp. musée Fabre, 2010, Alxandre Cabanel, la tradition du beau, p. 202 - Hilaire, 20 ans d'acquisitions au musée Fabre, 2014, n° 173, pp. 106-107 - Noon, Cat. exp. Noon, Riopelle, Cat. exp. Minneapolis, Londres, 2015-2016, fig. 48, repr. p. 244 - Hilaire, Paris, Washington, 2016-2017, cat. 72, repr. p. 257 et p. 75 (radiographie) et p. 185 et 182, 201 (détails) [Les références sont du catalogue en français] - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné numérique, 2022, n° 66.
De nombreux artistes des XVIe et XVIIe siècles se sont inspirés du thème de Ruth et Booz. Il n’est pas étonnant que Bazille ait fait de cette page biblique le thème de son tableau où il s’exprime d’une façon nouvelle et originale. Certains, comme Guérif et Courthion, y voient le reflet de son éducation protestante. Mais il est manifeste, comme on va le voir, qu’ici Bazille s’est inspiré du célèbre poème de Victor Hugo. C’est en effet en 1859 que celui-ci publie Booz endormi dans La Légende des siècles :
Donc Booz dans la nuit dormait parmi les siens,
Près des meules qu’on eût prises pour des décombres
Ruth songeait et Booz dormait.
Dans le tableau de Bazille aussi, Booz est endormi, appuyé sur son bras gauche; Ruth, allongée, se soulève légèrement pour regarder la « faucille d’or dans le champ des étoiles ». A gauche, au second plan, quatre meules de foin; à droite, un grand cèdre et quelques pins parasols qu’on retrouve dans Le Petit Jardinier. Le ciel bleu qui occupe le tiers supérieur du tableau s’harmonise avec les marrons et les verts froids de la terre endormie. Toutes les couleurs employées par Bazille concourent à la pureté, à la solennité de l’instant. Les lignes sont paisibles comme l’est cette nuit calme et sereine. Même le graphisme est appliqué, les traits continus donnant une forme définie et reposante à chaque chose. Il n’y a pas de place pour l’interprétation spontanée; seul le dessin de Booz laisse une certaine liberté à l’imagination. On trouve ici un synthétisme qui n’est pas d’usage chez Bazille. Le cèdre et les meules par exemple n’existent que par leur masse, se découpant sur un fond de ciel éclairé par la lune. Le paysage, au second plan, est plus lunaire que terrestre. Il est vidé de toute vie végétale et animale. Et cela correspond bien à l’atmosphère froide et monochrome que Bazille a choisie.
Sarraute n’est pas tendre à l’égard de cette œuvre qui témoigne de l’intérêt de Bazille pour la littérature contemporaine : « Ruth et Booz est incontestablement un échec, mais le document est fort intéressant... En fait, l’arrangement est mauvais, l’imagination est courte. C’est simple mais ce n’est pas la veine de Bazille, naturellement peintre de la réalité » [Sarraute, 1948, n° 45, p. 105]. Ce que Sarraute semble oublier, c’est que Bazille, dans cette option esthétique, ne pouvait guère s’attacher au détail ou charger son tableau d’éléments autres que symboliques. La qualité de l’œuvre tient justement à sa simplicité, à la pureté de ses formes. D’ailleurs le Ruth et Booz de Cabanel (1868) est presque aussi décharné que celui de Bazille. Chez Cabanel, on trouve certes une tente de toile et d’autres éléments de la réalité, mais le ciel et le paysage conservent leurs valeurs symboliques. Bazille a lui-même simplifié son sujet puisque, dans le tableau préparatoire et certains dessins, il avait ajouté un trépied et une faucille qui disparaissent dans l’œuvre finale.
Huit dessins préparatoires ont devancé les peintures. On y discerne les tâtonnements de Bazille, parfois ses maladresses, d'autres fois ses certitudes. L'étude pour Ruth et Booz ne manque pas d'intérêt puisqu'elle fixe son projet dans un encadrement au crayon pour en étendre ensuite les limites. Là encore - comme pour d'autres dessins préparatoires - on ne connaît pas l'évolution du projet dans l'esprit de Bazille et donc toutes les interprétations restent possibles.
Plusieurs rapprochements picturaux éclairent le Ruth et Booz de Bazille. Il faut d’abord mentionner Le Repas des moissonneurs de Millet. On sait que ce dernier l’avait appelé Ruth et Booz, et en avait ensuite changé le titre pour le public. « Mais il n’entendait pas supprimer la référence à la Bible, que les critiques ne manquèrent pas de mentionner; il voulait au contraire souligner le fait que les sujets bibliques gardaient leur sens dans le présent et que la vie rurale conservait les mœurs décrites par les anciens textes » [Jean-François Millet, Paris, Grand-Palais, 1975-1976, p. 95, n° 59]. La seconde influence, la plus souvent mentionnée, est celle du Sommeil de Puvis de Chavannes (1867). Ce tableau est, lui aussi, de grande taille. L’évocation se situe dans un « passé légendaire » [Le Sommeil, exposition Puvis de Chavannes, Paris, Grand-Palais, 1976-1977, p. 88]. La scène peinte par Puvis de Chavannes est cependant plus détaillée.
Gaston Poulain date Ruth et Booz de 1865. Étonnante erreur puisque Bazille écrit à Edmond Maître le 2 août 1870 : « J’ai fini à peu près un grand paysage... une étude de jeune homme nu, et Ruth et Booz sont à moitié chemin...» La datation du tableau ne fait donc aucun doute.
A la veille de la disparition soudaine de Bazille, Ruth et Booz met une nouvelle fois l’accent sur son ouverture d’esprit. Passionné par la musique, il s’intéresse cette fois à la littérature. Malgré ses références bibliques, Ruth et Booz ne nous semble pas vraiment destiné à l’expression d’un message religieux. Bazille, quoique très attaché à sa famille et à ses valeurs, ne fait jamais allusion dans ses lettres à des convictions religieuses. Avec Ruth et Booz, il se montre très éloigné des préoccupations impressionnistes de Monet et de Renoir.
Plusieurs détails séparent cette œuvre de l'ébauche de l'Esquisse pour Ruth et Booz dont la disparition du trépied - des dessins préparatoires -, la disposition des meules de foin, l'éclat de la lune, le scintillement des étoiles qui constellent la voûte céleste et la position de Booz endormi. Nous convions le lecteur à prendre connaissance de la fiche de chaque dessin pour suivre nos commentaires.
Bien que le Ruth et Booz du musée Fabre soit une œuvre atypique et majeure de Bazille, dont on remarquera qu'elle n'est pas signée, la petite ébauche la précédant, certes moins appliquée, académique et conventionnelle, nous séduit par l'énergie et la vigueur de son traitement. De la version du musée Fabre, il faut reconnaitre l'influence déterminante de maîtres anciens tels que Poussin et Chardin, sans oublier Puvis de Chavannnes et les peintres provençaux.
Plus d'une dizaine d'œuvres de Bazille ont été radiographiées aux rayons X à l'occasion de l'exposition de 2016-2017 à Montpellier, Paris et Washington. La radiographie de notre Ruth et Booz marque dorénavant l'histoire de Bazille avec la découverte sous-jacente de la Jeune Fille au piano présentée par Bazille au Salon de 1866. Elle sera refusée. Nous ignorions ce qu'elle était alors devenue et l'avons vainement cherchée depuis plus de trente ans. Formidable et heureuse surprise de la découvrir sous Ruth et Booz, ce qui met fin à nos recherches et à nos questions.